L’Inde est-elle à classer dans les pays développés ou sous-développés (pardon, en voie de développement) ? La question reste un mystère pour moi.

L’Inde a son satellite, donc son lanceur, fusée spatiale de grande portée, elle a une industrie certes fragile et dépendante, mais importante, une population dont une part a un pouvoir économique qui dépasse largement les frontières (Mittal, Bata, Tatta), dont une autre part a un renom dans des spécialités aussi pointues et innovantes que l’informatiques, la santé.

Pourtant le nombre d’indiens qui vivent de façon précaire, sous le seuil de pauvreté et même sous le seuil de survie alimentaire et impressionnant et désespérant. Les infrastructures collectives sont terriblement insuffisantes ou même inadaptées, l’hygiène, pourtant une valeur immuable de la civilisation indoue, déficiente.

Selon les normes occidentales, l’Inde est sous développée ; mais le modèle de développement de l’occident est-il universel, le seul admissible ? la population indienne est industrieuse, travailleuse, en permanence occupée à une activité sinon lucrative, du moins productive. Quiconque ici a tant soit peu d’initiative perce à sa façon, améliore son cadre de vie et celui de sa famille, l’avenir de ses enfants. La technicité des personnes dans leur ensemble ne cède rien à celle des jeunes de nos pays. Le tamil Nadu a mis en œuvre en un an de temps une politique « zéro plastic bag » dans les commerces de rue, on voit déjà les effets dans les campagnes et les égouts, le plastique recule.

Reste d’autre sources de pollutions et les aberrations climatiques de ces dernières années ne favorisent pas l’hygiène : les égouts ne se vident pas, les rivières sont à sec parce que la dernière mousson n’a pas apporté d’eau. Puiser dans les nappes phréatiques de plus en plus profondes exige l’emploi de matériel plus puissant que celui utilisé habituellement, et sachant qu’ici on ne jette pas, on ne casse pas, on ne remplace pas, on répare toute machine qui peut fonctionner, le renouvellement des équipements est difficile.

Culturellement, la notion de collecte des déchets est balbutiante. Il existe dans les grandes villes des services de ramassage, mais le reflexe qui consisterait à jeter un déchet non pas à terre, mais dans une poubelle est à des lieues du fonctionnement machinal des indiens. Il y a des entreprises qui valorisent les déchets recyclables : papier, cartons, bouteilles de verre ou de plastique. (Pour les canettes, je ne sais pas, mais la consommation reste confidentielle). Il y a des quartiers, comme celui où nous nous trouvons en ce qui concerne le matériel de reproduction audio : lecteurs, enregistreurs, hautparleurs, dont la fonction consiste à collecter les appareils qui ont perdu leur capacité d’utilisation, les désosser, les reclasser, les remonter et les remettre en service pour une seconde, troisième, énième vie.

Certes, le développement de l’Inde n’est pas celui de l’Occident, mais correspond bien à la volonté de Gandhi de donner à chaque village les moyens de son autosuffisance au moins pour la nourriture et l’habillement. Ce qui cadre assez bien avec les principes de l’indouisme : ton karma te suivra où que tu tentes d’aller, donc si tu es né pauvre et dans le besoin, c’est que tu as quelque chose à apprendre ou à expier, soumets-toi à la volonté divine, fais le bien et ta prochaine incarnation te favorisera d’un sort plus léger. Peu nombreux sont finalement ceux qui se révoltent contre cette loi.

Gandhi disait déjà qu’il est immoral de dissocier la politique de la religion. Même sans la foi, la religion gouverne les actions de l’homme, détermine sa vie, son avenir et celui de ses enfants. « Rien ne doit changer dans l’Inde éternelle ? »

Ma réflexion se développe dans le cadre d’une partie du Tamil Nadu : Mamalapuram, Pondichéry, Madurai. Qu’en est-il de Bengalore ? Qu’en est-il de Bombay, de New Delhi ? Aurais-je écrit la même chose l’an dernier au Kérala ? L’Inde est un (sous-)continent, un homme sur cinq est indien.