Je ne m’imagine pas donner un compte rendu exact de ce qu’est Auroville, je tente juste de restituer ce que j’ai pu apprendre en quelques jours sur ce phénomène, cette utopie qui sans être unique sans doute, n’en reste pas moins une étrangeté ici en Inde.

Depuis cette année, le gouvernement indien a accordé à Auroville le statut administratif de ce que nous appellerions un canton. Cette « agglomération » existe donc bien réellement avec ses caractéristiques si particulières de gestion et de fonctionnement administratif.

Mais finalement, qu’est-ce qui caractérise cette « ville » qui se veut le modèle d’un monde futur ?

Tout est axé ici sur la gestion participative. En excellent exemple de démocratie directe en action, avec ses qualités et ses défauts. Tous les domaines de la vie commune sont administrés par des « groupes » où se rencontrent les Aurovilliens qui se sentent concernés par la question. N’ayant pas assisté au fonctionnement d’un de ces groupes, je ne peux pas dire si c’est la majorité qui ‘emporte ou si l’unanimité est nécessaire, mais en tous cas, il doit se dégager un consensus pour qu’une décision soit prise et applicable. Et certainement, ceux qui ont à cœur de pousser à la roue sont plus actifs et plus représentés que ceux qui cherchent plutôt leur édification personnelle.

Ces groupes désignent des représentants au Conseil d’Auroville, qui délègue les décisions journalières à un comité, dans lequel on retrouve le gens qui ont à cœur de s’y investir, avec une représentation gouvernementale.

Pas de police particulière à Auroville, et je n’ai pas vu de policiers indiens en action sur le territoire. 22 ha, 2800 résidents reconnus, dont 500 enfants, sur les terres appartenant à Auroville plus de la moitié sont indiens, la plupart originaires de villages environnants, 50 autres nationalités sont représentées, la ‘communauté’ la plus nombreuse étant celle des français. Mais Auroville regroupe sur toute son étendue des villages qui préexistaient, et on arrive à une population de quelques 50.000 habitants touchés plus ou moins directement par le phénomène.

Territorialement, toute l’étendue du canton ne dépend pas d’« Auroville »., comme on désigne ici le ‘pouvoir administratif’ C’est d’ailleurs là un problème criant pour le projet. Il subsiste dans le rayon d’action de la cité modèle, des terrains privés qui ne participent pas, mais qui pourraient avoir tendance à utiliser le renom de la communauté pour en tirer un profit personnel. Alors qu’ici, tout fonctionne sans aucun but de rétribution personnelle. En dehors d’une petite partie de la population qui bénéficie d’une allocation mensuelle, pas réellement élevée, chacun est sensé se suffire à soi-même, et participer autant que possible au développement général. Toutes les entreprises profitables paient un « impôt » pour financer les services de base : eau, électricité, administration.

Auroville est en principe une ville sans circulation monétaire. Chaque résident permanent, ou de longue ou moyenne durée, possède un compte qui lui permet de payer ses consommations. Il existe même une sorte de caisse de compensation qui permet aux plus démunis de passer un cap difficile. Le tout dans une liberté totale : aucune contrainte d’aucune sorte de participer à tel ou tel aspect de la vie communautaire, en dehors de l’utopie de base à laquelle il faut vraiment croire pour surmonter les contradictions et les difficultés de la vie dans cet environnement.

La terre est un bien commun. Celui qui veut s’installer reçoit un morceau de terrain où il bâtit sa maison. Il possède et administre lui-même son habitation tant qu’il y réside, lui ou sa famille, mais la cède à la communauté s’il la quitte. Ce qui permettra d’accueillir une autre personne ou famille qui se joindrait à la communauté.

Pour devenir Aurovillien, il faut manifester le désir de participer au projet (voir à ce propos les écrits de Mère et de Sri Aurobindo, et pour ceux qui ne connaissent pas, il s’agit de permettre l’éclosion d’une humanité nouvelle dans un monde nouveau). Après un stage de quelques mois, le ‘new comer’ doit prouver pendant un an qu’il peut s’intégrer et apporter quelque chose au projet. La ‘nationalité’ lui sera accordée par les instances suprèmes après ce temps, toujours selon cette règle de consensus qui permet le maintien de l’idée autant d’années après la disparition des fondateurs (Sri Aurobindo est décédé en 1950 et la Mère en 1973, d’épis cinquante ans, la relève est assurée par des gens dont la plupart n’ont pas connu les ‘gurus’). Il faut ajouter que si l’ashram de Sri Aurobindo avec ses caractéristiques philosophico-religieuses, existe toujours à Pondichéry, Auroville a fait il y a maintenant de nombreuses années sa « déclaration d’indépendance, et s’est totalement désolidarisé du caractère autoritaire qui a présidé à sa conception.

Pas de contraintes religieuses ni de croyance à Auroville. Mis à part la boule dorée (matrimandir) qui marque le centre de la cité idéale, et qui est sensé inviter à la méditation, aucune pratique n’est impérative. Pas besoin d’être yogi ou ascète pour être Aurovillien. Enfin, pour autant qu’on apprécie le style vie ici, dans le calme, une nourriture saine, un environnement pacifique, des distractions mesurées. Ce qui ne veut pas dire qu’Il n’y a pas de vie culturelle ici, au contraire : le cinéma fonctionne quasi tous les jours, des conférences multiples se donnent régulièrement de cycles d’études commencent chaque mois. Téléphonie fixe et mobile, internet à un excellent débit, des éditions papier de toutes sortes de choses manifestent une vie intellectuelle bouillonnante. L’art n’est pas en reste : musique, danse, spectacles, et pour certains, peinture, sculpture et toutes sortes d’autres réalisations.

45 architectes exercent ici, avec des domaines d’expertise aussi variés que le bambou, la terre crue, la brique compressée. La santé n’est pas en reste, ni l’éducation, ni l’agriculture, ni l’épuration de l’eau, ni les énergies renouvelables. Il y a ici une véritable université, avec ses unités de recherche à la pointe de leur spécialité. Il y a là un foisonnement d’initiatives, certaines au long cours, depuis de très nombreuses années, d’autres plus ponctuelles, qui émergent puis disparaissent dans un foisonnement perpétuel de renouvellement. Ce qui limite l’avancée du projet, c’est plus le petit nombre de participants que les idées !

Si certains veulent me corriger dans des erreurs que j’ai pu commettre, je suis ouvert à toute suggestion. Je veux seulement dire que je n’ai pas voulu donner une définition d’Auroville, mais seulement une impression après un court séjour