A 9 heures, Ronaldo nous attend à l’entrée du campement. Nous touchons sans le savoir à un paradoxe de cette petite communauté, où les clans rivaux se disputent déjà les (trop ?) rares touristes. Ronaldo fait partie des anciens, Fernando est le premier des ‘nouveaux’… et l’alcalde entre les deux se contente de percevoir les taxes.

Nous commençons par le tour du s-désert rouge. C’est vrai que, dimensions mises à part, on pourrait parfois se croire dans les rocheuses, avec des à pic vertigineux et des étendues abandonnées. Mais la profondeur maximale de l’érosion atteint ici 23 mètres, et de tous côtés, des plantes de région sèche se multiplient, surtout à la faveur de la pluie de la nuit dernière. Et les moutons escaladent les « falaises ». Notre guide cherche un peu son chemin. La pluie a démoli une partie des passages qui étaient habituels depuis les derniers mois, il faut en repérer de nouveaux, peut-être les reconstruire pour faciliter la promenade.

Le désert était autrefois une lagune quasi circulaire, d’abord maritime, puis saumâtre il y a 35 millions d’’années. Le marécage qui lui a succédé s’est transformé en lagune d’eau douce accumulant les dépôts argileux ou limoneux, puis a donné un site peu arrosé de par la protection des deux cordillères, centrale et orientale, qui détournaient les précipitations. Il y a 5 siècles, les espagnols ont découvert ici ‘el valle de la tristeza’, une vallée isolée, peu fertile, mais couverte de végétation maigre. Les chèvres et les moutons ont mis à mal ce couvert végétal en quelques dizaines d’années, l’érosion a commencé, les terres peu fertiles se sont retrouvées dans le rio Magdalena et le site a commencé à ressembler à un désert.

Il nous faut à peine une petite heure pour traverser quelques dizaines de milliers d’années et des strates alternant les oxydes de fer et les bancs calcaires. Nous ne poussons pas jusqu’au cimetière des dinosaures, un site d’où les pluies dégagent régulièrement des fossiles de sauriens qui sont dispersés sans évaluation scientifique.

Pour la suite de la balade, Ronaldo débauche un chopo, ou motocarro, la distance est un peu trop importante pour faire ça à pied dans le soleil. Nous partons pour le site des « hoyos », les trous.

Ici, pas d’oxydes de fer, pas d’argile fine, mais du limon et du sable, et des minéraux plus basiques, plomb, cuivre, qui teintent le tout en gris, alors que les coraux sont noirs, les végétaux qui les recouvraient s’étant réduits en carbone. Les excavations sont plus importantes, on compte jusqu’à 45 mètres de profondeur, et l’érosion attaque les terrains d’une autre façon, un passage s’appelle la « convencion de los fantasmas ».

Curieusement, la visite commence par une piscine dans le désert, alimentée par un puits artésien, et même une source. Attraction touristique majeure, le propriétaire du site en est à son troisième agrandissement, tant cette baignade dans le désert a de succès auprès-des touristes.

Il faut dire que ce mini désert est plus une curiosité, un must, qu’une performance ou un appel au dépouillement. On vient ici en motos à quatre roues, ou à cheval en balade de trois heures. On dort presque à la belle étoile, mais on a une douche et une cantine à portée. Ce qui s’apparente à un désastre écologique ne semble toucher ni les exploitants ni les visiteurs. Seule compte l’étrangeté de la situation. Et quand notre guide d’acharne à ramasser les plastiques, canettes et détritus abandonnés par les gens qui viennent de passer devant lui, pour les déposer dans la poubelle du prochain campement, on dirait le colibri de la fable luttant contre l’incendie à coup de gouttes d’eau.

Plus qu’à un désert, la Tatacoa me fait penser à un parc d’attraction, si ce n’est que la gestion en est désastreuse. Il semble que les pluies deviennent plus fréquentes, activant l’érosion, mais facilitant la végétation, et favorisant l’envahissement par le bétail. Comme il ne semble pas y avoir de politique de protection du site, on peut dire qu’il est condamné à brève échéance en tant que tel. Mais il ne constitue après tout qu’une simple étape dans l’évolution géologique, où l’intervention humaine a conduit à plus de dégradation qu’à un minimum de conservation.